Redonner du sens au métier de professeur en réaffirmant la mission première de l’enseignement : la transmission du savoir

Par Société des agrégés, le 27 janvier 2024

L’Assemblée générale de la Société des agrégés, réunie le 27 janvier 2024, déplorant le manque d’attractivité du métier de professeur, la difficulté de pourvoir tous les postes aux concours, notamment au CAPES et au CRPE, le nombre croissant de démissions ou de reconversions par lassitude ou dégoût des conditions d’exercice, s’est interrogée sur les moyens de revivifier la vocation à l’enseignement et d’y attirer les meilleurs des étudiants.

Pour rendre le métier de professeur plus attractif, il faut, comme l’a souligné, à plusieurs reprises, la Société des agrégés, mettre en œuvre une revalorisation financière, morale et sociale, qui soit effective et garantie par un plan pluriannuel. Il faut aussi améliorer le fonctionnement des ressources humaines et rompre avec une politique de « management » incompatible avec la nature d’une institution publique qui ne s’apparente en rien à une entreprise privée. Mais, au-delà de ces mesures matérielles et humaines, il faut redonner du sens au métier de professeur en réaffirmant la mission première de l’enseignement : la transmission du savoir. Dans cette perspective, ce vœu met notamment l’accent sur la formation initiale et continue des professeurs, sur les modalités de leur recrutement, sur leur liberté pédagogique, sur leur capacité à devenir des médiateurs du savoir et sur les chantiers lancés par le ministre Gabriel Attal avant sa nomination comme Premier ministre.

La première des autorités : l’autorité du savoir

Si le professeur est en principe un fonctionnaire, avec des droits et des devoirs, si, comme tous les fonctionnaires, il doit « se conformer aux instructions de son supérieur hiérarchique, sauf dans le cas où l’ordre donné est manifestement illégal et de nature à compromettre gravement un intérêt public », l’autorité première qu’il doit reconnaître et qui légitime toutes les autres autorités – celles du ministre, de sa hiérarchie, de lui-même –, c’est l’autorité du savoir : le savoir qu’il a acquis et doit entretenir, qu’il est chargé de transmettre, qu’il continue de développer par les recherches auxquelles il participe.

C’est le principe du savoir, indépendant de tout parti pris idéologique ou pédagogique, à l’abri de tout dogmatisme et de tout obscurantisme, qui doit guider le gouvernement dans la mise en œuvre, pour les élèves et les étudiants, d’une politique leur permettant de s’instruire, d’acquérir une faculté de discernement et un jugement critique, de se libérer des préjugés de toute nature, de penser par eux-mêmes et de construire leur liberté et leur avenir. La Société des agrégés a le devoir d’indiquer au ministère et, plus généralement, à l’opinion publique, les voies qui lui semblent les meilleures pour atteindre ces objectifs.

Une formation et un recrutement des professeurs fondés sur le savoir

La Société des agrégés constate avec regret que toutes les réformes précédentes des concours de recrutement, hormis l’agrégation, ainsi que les réformes de la formation, en ont altéré la qualité scientifique, en réduisant le nombre des épreuves disciplinaires et en les remplaçant par des épreuves dites professionnelles. Si ces épreuves, parallèlement à des épreuves disciplinaires, peuvent se concevoir pour les candidats aux concours internes qui ont déjà une expérience de l’enseignement, elles sont totalement déplacées pour les concours externes auxquels se présentent majoritairement des étudiants qui n’ont ni l’expérience ni le recul nécessaire pour analyser des pratiques pédagogiques. De telles épreuves ne peuvent conduire les candidats qu’à une répétition mécanique de recettes apprises et, pis encore, à se conformer à un moule préétabli, dépersonnalisé, aux antipodes de toute autonomie de la pensée scientifique et d’une pratique pédagogique responsable et réfléchie.

Les instituts de formation, créés par la loi de 1989 pour remplacer les écoles normales d’instituteurs et les centres pédagogiques régionaux, sous leurs dénominations successives d’IUFM, d’ESPE et d’INSPE, répondaient à des considérations à la fois corporatives et idéologiques et ont contribué à développer une conception discutable de la pédagogie et l’uniformisation de pratiques contraires à la liberté de création et d’innovation et, finalement, une baisse des exigences dans l’acquisition et l’assimilation des savoirs. Ils doivent être profondément réformés.

Pour « remettre le respect de l’autorité et les savoirs fondamentaux au cœur de l’École », la formation initiale doit être disciplinairement solide et exigeante, car l’autorité du maître trouve sa légitimité dans l’autorité du savoir qu’il a acquis, la maîtrise du savoir étant elle-même la première des compétences pédagogiques.

La formation pratique après le concours

La formation pratique doit se situer après le concours qui, s’il est bien conçu, aura écarté les candidats aux connaissances insuffisantes ou incapables de les transmettre clairement à l’écrit comme à l’oral. Le métier de professeur, s’il est égal en dignité quel que soit le niveau où on l’exerce, est différent selon qu’on enseigne dans le primaire, le secondaire ou le supérieur. La formation pratique doit donc être adaptée aux secteurs de l’enseignement auxquels destinent les concours de recrutement. Il est anormal, par exemple, que des lauréats de l’agrégation, qui, selon leur statut, doivent enseigner principalement dans les classes de lycée et exceptionnellement en collège, soient en grand nombre affectés en collège pour leur stage.

Il est absurde de vouloir former des professeurs « clés en main », qui se limiteraient à appliquer des recettes apprises. Un professeur bien formé est celui qui a acquis une bonne maîtrise de sa discipline, une connaissance des différentes théories et méthodes pédagogiques et une capacité à faire des choix en fonction des classes et des élèves qui lui sont confiés, à rectifier ses méthodes à la lumière de son expérience, s’il y a lieu, et à innover quand il le juge bénéfique.

Un recrutement à bac + 3 pour le CAPES : une mauvaise solution

Pour toutes les raisons énoncées précédemment, la Société des agrégés exprime ses plus fortes réserves sur le scénario qui aurait la préférence du ministère pour le futur recrutement des professeurs du second degré (concours à bac + 3, en fin d’année de licence, suivi de deux années de formation professionnelle menant à un master), estimant qu’il pourrait porter préjudice à la qualité du recrutement des professeurs certifiés, qui constituent la grande majorité des personnels en collège et en lycée. Ce n’est pas en diminuant les exigences disciplinaires et en déconsidérant la primauté du savoir qu’on pourra susciter davantage de vocations à l’enseignement. C’est, au contraire, en soulignant l’importance du savoir dans la formation des futurs professeurs et dans leur mission de transmission et d’émancipation.

Une affectation des professeurs tenant mieux compte de la qualification et des compétences

Le système du mouvement à gestion déconcentrée devrait être supprimé et remplacé par un mouvement national, où les professeurs pourraient émettre des vœux précis dans toute la France, conservant leur affectation s’ils n’obtiennent pas satisfaction. Avec le système actuel (mouvement interacadémique suivi du mouvement intra-académique), beaucoup d’entre eux hésitent à changer d’académie, ne sachant dans quelle ville et dans quel type d’établissement ils seront finalement affectés. Après le mouvement national, chaque académie pourrait éventuellement procéder à des ajustements locaux, en fonction des situations particulières.

Les professeurs agrégés, par leur formation et le niveau de leur concours, sont les plus aptes à assurer la transition entre l’enseignement secondaire et l’enseignement supérieur. Ils doivent être, conformément à leurs statuts, prioritairement affectés dans les classes de lycée, dans les classes post-baccalauréat et dans les établissements du supérieur. Le ministère doit avoir, à cet égard, une politique plus incitative, qui pourrait, par exemple, prendre les formes suivantes :

À terme, il conviendrait que tous les agrégés soient destinés à enseigner de bac – 3 à bac + 3 et au-delà, le choix étant donné aux agrégés issus du concours interne de conserver leur affectation antérieure ou d’entrer dans le cycle bac – 3 / bac + 3 et au-delà. Il serait d’ailleurs souhaitable que les congés de formation professionnelle soient plus facilement accordés pour les enseignants envisageant de préparer un concours interne, notamment l’agrégation. Une uniformisation du traitement des demandes et des délais au niveau national serait largement souhaitable.

Les agrégés ont aussi vocation à prendre une part importante dans la formation initiale des professeurs. On peut donc concevoir que les agrégés volontaires soient chargés, avec des allégements de service, de la formation continue de leurs collègues, notamment en cas de changements de programme.

Enfin, les agrégés doivent être encouragés à pratiquer des activités de recherche (doctorat, publications, participation à des colloques), qui doivent être facilitées par des aménagements de service et reconnues dans leur carrière, car ils apportent une contribution essentielle au progrès du savoir.

La Société des agrégés a pris connaissance des recommandations de l’IGESR, qui évoque plusieurs de ces points dans son rapport intitulé « La place et les missions des agrégés au sein du MENJ et du MESR », daté d’octobre 2022 et non encore publié. Si elle approuve certaines préconisations comme « limiter le nombre d’agrégés au collège, au profit des lycées et du post-bac », « favoriser les mutations d’agrégés en lycée », « après le concours, affecter prioritairement les agrégés en lycée », voire « développer les services partagés entre secondaire et supérieur » dans les villes universitaires, elle rejette catégoriquement toute augmentation des obligations de service des professeurs agrégés – qui serait le prélude d’un alourdissement général de la charge de travail de l’ensemble des professeurs –, alors que la plupart d’entre eux effectuent déjà des heures supplémentaires et que leurs conditions de travail ne cessent de se dégrader. Elle rejette également l’hypothèse d’une mise en extinction du corps des professeurs de chaires supérieures, qui doit rester le corps de référence des agrégés exerçant en CPGE. La Société des agrégés demande que ce rapport soit officiellement publié, que le ministère précise les mesures qu’il envisage de retenir et engage des négociations avec toutes les parties concernées.

La liberté pédagogique des professeurs

Le professeur n’est pas un simple exécutant, c’est un concepteur de ses cours. Il est le plus compétent pour choisir, sous le contrôle d’une inspection indépendante et dans le respect des programmes et de leur esprit, la progression et les méthodes de son enseignement. Il faut faire davantage confiance aux professeurs et leur donner les moyens d’exercer avec responsabilité leur liberté pédagogique inscrite dans la loi.

L’évaluation des professeurs

Tous les professeurs sont différents, ont des personnalités différentes et des méthodes différentes, ce qui fait la richesse du corps enseignant, mais ils ont en commun une formation comparable, le respect du savoir et la volonté de le transmettre. Leur évaluation et les avancements d’échelon ou de grade qui en découlent doivent aussi se fonder principalement sur leur maîtrise des savoirs et leur capacité à les transmettre efficacement, en s’adaptant, sans renoncer aux exigences, aux classes et aux élèves qui leur sont confiés. Ils ne doivent en aucun cas dépendre de critères normatifs ou pédagogiques préconçus.

Les mesures annoncées dans le cadre de la mission « exigence des savoirs »

La Société des agrégés a pris position sur les mesures annoncées par l’ancien ministre en considération du bénéfice que peuvent en retirer les élèves dans leur acquisition des savoirs (cf. vœu du Comité du 9 décembre 2023). Ces mesures, qui devraient être reprises par son successeur, Mme Amélie Oudéa-Castéra, nécessitent, pour être efficacement appliquées, des moyens supplémentaires, faute de quoi elles seraient insignifiantes, inopérantes et aggraveraient encore les conditions de travail des professeurs et des élèves.

Intelligence artificielle et enseignement

La Société des agrégés émet des réserves sur l’introduction à l’école de ce qui est abusivement présenté comme l’intelligence artificielle (IA). Elle s’inquiète de son utilisation systématique et de ses potentielles dérives, alors que les élèves sont déjà largement sollicités par les écrans et toutes les techniques audiovisuelles. L’IA ne peut pas et ne doit pas se substituer à l’obligation pour l’élève, sous la direction du professeur et par son propre travail de conception et de réflexion, d’acquérir des méthodes, d’assimiler des connaissances pour les réutiliser dans un autre contexte et de faire le lien entre les différents domaines du savoir.

La Société des agrégés estime qu’à l’instar du numérique l’IA doit rester un outil maîtrisé au service de ces objectifs. Son utilisation doit être soigneusement encadrée, sous le contrôle de chaque professeur, et limitée à des exercices favorisant l’assimilation et l’utilisation des connaissances. Elle ne saurait en rien suppléer le professeur dans une partie de son enseignement ni remplacer la relation éducative et personnalisée qu’il entretient avec ses élèves. En tout état de cause, l’utilisation de l’IA dans l’enseignement doit respecter les principes d’équité et ne pas aboutir à des discriminations sociales supplémentaires.

Le modèle méritocratique

La Société des agrégés est attachée au modèle méritocratique, où la valeur de chacun est reconnue en fonction de ses talents et de ses efforts. C’est pourquoi, elle défend le principe des concours pour le recrutement des professeurs, qui est la seule modalité répondant à l’article 6 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen : « Tous les Citoyens étant égaux à ses yeux sont également admissibles à toutes dignités, places et emplois publics, selon leur capacité, et sans autre distinction que celle de leurs vertus et de leurs talents ». De telles modalités de recrutement impliquent la création de bourses spécifiques ou la rémunération des étudiants préparant les concours et signant un engagement décennal, afin qu’aucun obstacle financier n’empêche un candidat de s’y présenter.

De la même façon, le modèle méritocratique ne peut se justifier pleinement que si l’enseignement a l’ambition de conduire chaque élève au maximum de ses capacités et à tendre vers l’excellence. À cet égard, l’État, s’il veut lutter contre les déterminismes sociaux, doit lever, par des mesures appropriées, les obstacles matériels, financiers et culturels qui peuvent s’opposer à leur volonté de s’instruire.

Le remplacement des professeurs absents

La Société des agrégés déplore que les plus hautes autorités aient déclaré que le remplacement des professeurs pourrait, en cas d’indisponibilité de courte durée, être effectué grâce au « pacte enseignant », à quelques heures supplémentaires et au déplacement de la formation continue hors du temps scolaire. Elles se déchargent ainsi de leurs propres responsabilités et laissent entendre à l’opinion publique que les professeurs n’auraient pas actuellement une charge de travail suffisamment importante. Si des professeurs ne sont pas immédiatement remplacés, ce sont les lourdeurs administratives, l’absence d’anticipation et le manque de professeurs qui sont en cause. Plutôt que de stigmatiser le corps enseignant, le ministère devrait revoir sa politique de recrutement et d’affectation des professeurs, notamment celle des TZR qui sont des fonctionnaires à part entière, créer des postes supplémentaires et rendre le métier assez attractif pour ne pas connaître de pénurie de personnel.

Conclusion

Les quelques orientations présentées dans ce vœu, si elles étaient mises en œuvre, permettraient de redonner du sens au métier de professeur en mettant l’accent sur sa mission de promotion intellectuelle, culturelle et sociale par l’acquisition du savoir. Elles amélioreraient sensiblement le système éducatif et répondraient aux exigences de l’article 13 du préambule de la Constitution de 1946, à valeur constitutionnelle, qui dispose que « la Nation garantit l’égal accès de l’enfant et de l’adulte à l’instruction, à la formation professionnelle et à la culture. L’organisation de l’enseignement public gratuit et laïque à tous les degrés est un devoir de l’État ».