Lettres modernes 1978

Par Société des agrégés, le 17 octobre 2014

Lettres modernes 1978

Printemps 1978

Je marche. Je marche derrière une charmante jeune femme, qui me guide dans des couloirs interminables… J’ai l’impression de marcher pendant des heures… Je porte un hideux chemisier rose, une jupe à fleurs, j’espère faire bonne impression.

Je marche… ces quelques secondes qui séparent la salle de préparation de la rencontre avec le jury sont les plus longues de ma vie… Je suis à moi
toute seule le labyrinthe, Thésée et le Minotaure; mon cœur bat à 150… Je tiens une liasse de feuilles désespérément couvertes de «Grand Un»
et de «petit d» (je ne les regarderai pas, pas une seule fois).

Je marche… je porte avec moi dans ces couloirs tout ce que mes Professeurs m’ont laissé… le latin de M. Gorini, la littérature de Mme Bancquart, M. Lecercle, M. Masson… J’ai 22 ans et tout se mélange; je marche vers la Grande Leçon, et quarante minutes vont décider de mon avenir…

L’apparitrice me sourit en regardant un tout petit peu ailleurs; elle, elle a le souci de frapper à la minute précise, d’annoncer l’arrivante, de s’effacer…
Nous sommes devant la porte, Giono et moi ; Giono qui va revivre par ma voix, le Roi sans divertissement est un homme plein de misère, et moi je marche…

«Il vous reste une minute»…

Quelques jours plus tard: reçue 21e ex aequo. Po po po, dit mon père. J’ai failli être fier de toi !

Mais je le connais. Il l’est. Fier.

Isabelle Casta