Lettres modernes – 1970

Par Société des agrégés, le 17 octobre 2014

Lettres modernes – 1970

Printemps 1969. Dans la bibliothèque de la faculté d’Aix-en-Provence le sujet de l’agrégation de lettres modernes vient d’être distribué. Non ! Vraiment? Baudelaire! «Aimer Commenter Échanger?» ce n’est pas le moment, il convient de se concentrer, d’analyser l’énoncé. Mais un bruit sourd s’élève, des talons frappent le sol en cadence, une voix claire venue de l’arrière lit… du Baudelaire…!!! La grève!!! L’épreuve de français est arrêtée.

L’ambiance de la fac aidant, mes vingt et un ans se sont au long de l’année 1968-69 émus de la maigreur annoncée de la liste des admises en lettres modernes et, plus généralement, du nombre restreint des places à bien des concours de la fonction publique. Et puis, l’expérience de trois semaines (imposées aux agrégatifs) au sein d’un lycée du centre-ville marseillais, où les vénérables fauteuils clubs sont exclusivement réservés aux agrégées, ne m’a pas fondamentalement convaincue d’intégrer cette forme de hiérarchie. Pas question donc de monter dans les cars (de CRS) venus à l’arrière du bâtiment chercher les candidats volontaires pour les amener dans un établissement de la ville – où les heures dévolues à la rédaction de la dissertation allaient s’étirer étonnamment… Le lendemain, tout rentre dans l’ordre, les épreuves se poursuivent septembre 1969: après les révisions estivales, retour vers l’épreuve de français.

Résultats: admissibilité. À Paris, je découvre ce qu’est la «leçon », et alors que l’œuvre imposée est la même que celle qui m’a valu à l’écrit une forte bonne note, j’ai terminé mon exposé, à partir d’un plan minutieusement structuré et illustré d’exemples… en 20 mn, et je ne sais pas du tout comment me rattraper et utiliser tout ce temps restant… Je me tais… En fin de journée, Monsieur Morisset (celui du «Morisset et Thévenot») me console: 76e , 1re recalée, ce n’est pas grave, l’an prochain, cela se passera très bien, et puis le métier est trop difficile pour les trop jeunes enseignants. Une année de CPR va m’être utile.

Mes camarades garçons me consolent aussi, un peu gênés: certains ont moins de points que moi et sont reçus, eux! Mes trois camarades féminines, presque trentenaire, trentenaire et quadragénaire, sont ravies, d’autant qu’elles n’avaient pas jugé bon de refuser de terminer l’épreuve en ville, à ce qu’elles me disent.

L’année suivante, je l’ai eue, ce concours d’agrégation – toujours bien classée à l’écrit, toujours aussi peu à l’aise à l’oral. En sus, je me suis trouvée couplée (est-ce resté d’usage?) avec une brillante jeune personne de Sèvres passée juste avant moi… à l’époque, j’ignorais que Normale Sup acceptait éventuellement des « auditrices» de province pour les aider à surmonter les particularités de l’oral.

Rentrée 70 : munie du Capes et de l’Agrég, me voici dans un collège du département… du Nord. Les collègues, parfois exilés comme moi, sont chaleureux, les deux classes de sixième de trente-six élèves chacune sont attachantes. Le Principal tient ses troupes d’un bras de fer. Cet amoureux du Lubéron devine parfaitement à quel point la lumière de la Provence me manque. Des mois à aller en cours revêtue du même ciré noir résistant au crachin quasi quotidien, des mois à pouvoir regarder de ma fenêtre quatorze puits de mine pas encore reverdis… Mais je sais dès lors que j’aime ce métier d’exigences à maintenir, de transmission à assurer et d’écoute à privilégier, auquel le concours lui-même ne m’avait guère préparée pratiquement. Reste que pour son approche rigoureuse, approfondie, éclairante des beaux textes il m’avait marquée, et que j’avais vraiment aimé le préparer, ce Concours!

Annie Festas