Enseigner la géographie en italien – Philippe Herard

Par Société des agrégés, le 9 juin 2013

Enseigner la géographie en italien – Philippe Herard

Agrégé de géographie, Philippe Herard enseigne l’histoire-géographie en italien au lycée Maulnier (Nice)

De quelles classes avez-vous la charge ?

J’ai la charge d’une classe de Seconde, de Première et de Terminale dans lesquelles les élèves de plusieurs classes du même niveau se retrouvent « en barrette » comme en langue. La spécialité appelée DNL (Discipline Non Linguistique) est une option facultative ouverte théoriquement à toutes les séries.

Comment s’organise le travail, dans quelle langue ?

Les élèves suivent l’enseignement d’histoire- géographie en Italien à raison d’une heure hebdomadaire en sus de l’horaire habituel de leur série. Le cours, dont la structure est similaire à celle des cours en français, se déroule entièrement dans la langue et se fonde sur des sources et des documents provenant des manuels scolaires, de vidéos, de films ou d’autres sources diverses. S’ils poursuivent l’option jusqu’en Terminale, ils passent un oral facultatif dont les points supérieurs à 10 sont comptés coefficient 2 pour la première série d’épreuves. Aucun point n’est perdu si les élèves n’ont pas la moyenne (ce qui est très rare). Ils doivent aussi obtenir au moins 12/20 dans la langue et sont alors titulaires d’un baccalauréat « mention européenne Italien ». Ce n’est pas un bac international. Les élèves réalisent une activité par an (sous la forme d’un voyage ou d’un échange) avec le pays dont la langue est étudiée.

Quels sont, à votre avis, les avantages et les inconvénients à adopter ce type d’organisation ?

Les avantages sont nombreux. Les élèves approfondissent leurs connaissances de la matière sous des angles spécifiques du pays étudié. Ils acquièrent un lexique plus large qu’ils peuvent réemployer en langue. Ils prennent l’habitude de s’exprimer plus librement et manipulent des documents et des supports divers dans une autre langue que la leur. Je ne vois aucun inconvénient sauf peut-être le coût des activités (échanges et voyages), qui se font aux frais des familles alors que ces activités sont, en théorie, obligatoires : aucune subvention ou ligne budgétaire n’est malheureusement prévue.

Pensez-vous que cet enseignement se fasse au détriment du français ?

Non, absolument pas, car c’est une option facultative, qui ne retire donc rien aux élèves. Quant aux progrès réalisés, ils sont réels : les élèves acquièrent un lexique plus important, spécialisé, et ont moins peur de prendre la parole spontanément à l’étranger. La différence est notable. Ils abordent aussi les notions d’histoire- géographie et la culture italienne sous un autre regard. Les enseignants du supérieur sont très satisfaits de nos élèves.

Est-ce une expérience à étendre ?

Bien sûr ! L’Italie a fait de gros efforts pour étendre le dispositif EMILE ou CLIL (autre nom de la DNL). La France et l’Italie ont ouvert des baccalauréats internationaux (ESABAC esame di maturità/baccalauréat), et l’enseignement est déjà généralisé en Italie pour les classes de Terminale des lycées généraux.

Pour le professeur que vous êtes, le bilan est-il aussi positif ?

Ce système permet à l’enseignant de travailler différemment avec un public de qualité, motivé, et de sortir des sentiers battus. Lorsque l’enseignant suit, par ailleurs, la classe de façon classique, cela permet de monter des projets intéressants et motivants pour les élèves. Les nominations se font hors barème sur des postes à profil (PEP 2) dans les mutations intra- académiques sur décision de l’inspection. Les inconvénients résident dans la nécessité de se former en continu et dans l’absence de reconnaissance financière de l’institution (même s’il faut reconnaître que l’investissement du professeur se traduit parfois en terme d’avancement). À cela s’ajoutent les inconvénients propres à toute option : horaires tardifs et parfois décourageants pour les élèves.

Trouvez-vous que la formation proposée aux professeurs exerçant leur enseignement dans une autre langue, comme vous le faites, est adaptée ?

La pratique de cette option nécessite de passer une habilitation dans la langue sous forme d’un oral, mais aucune formation spécifique n’est prévue, encore moins une formation continue. Il n’y a aucune ligne budgétaire prévue en dehors des heures accordées par le chef d’établissement à partir de sa DGH.

Que pensez-vous de l’intensification des cours en langues étrangères dans l’enseignement supérieur ?

C’est une très bonne chose. Ce dispositif peut permettre de combler le retard considérable des élèves français dans les langues qui est dû à la trop grande faiblesse des horaires, au nombre trop important des élèves par classe et qui aboutit à un manque d’aisance certain à l’oral. Or cette aisance est indispensable dans le cadre de la mondialisation. Dans un tel contexte, la meilleure chance pour la culture française est de ne pas se marginaliser. Accepter la diffusion d’autres langues à l’université, c’est ouvrir la France et sa culture aux autres étudiants, les attirer, et donc diffuser la culture française, et dans un deuxième temps sa langue. Au contraire, s’isoler, c’est s’atrophier et risquer de disparaître : s’adapter aux circonstances est la vraie marque de l’intelligence.

Merci à Philippe Herard, Géographie 1996.