Siècle 21 – Jean Migrenne

Le 19 décembre 2017

Siècle 21 – Jean Migrenne

Notre collègue Jean Migrenne est un « translateur » de haut niveau qui ne craint pas d’aborder des genres fort opposés. Parmi les auteurs classiques, il a déjà traduit Contre le tabac de Jacques Ier d’Angleterre (cf. L’Agrégation, n° 478), et, en collaboration avec Pierre Kapitaniak, La Sorcellerie démystifiée de Reginald Scot (cf. ibid, n° 483). Actuellement, de Daniel Defoe, il termine la traduction du triptyque infernal : A Political History of the Devil, A System of Magic et An Essay on the History and Reality of Apparitions). Parmi les auteurs contemporains, il témoigne d’un grand intérêt pour des poètes américains dont nous avons déjà rendu compte dans des bulletins précédents de L’Agrégation (n° 471, n° 478).

Dans les deux cas, des difficultés de traduction sont présentes, bien que de nature différente. Dans les textes classiques, il faut bien appréhender les archaïsmes de mots et de tournures, dominer les longues périodes, les couper au besoin, et s’évertuer à les rendre en un français intelligible aux francophones du XXIe siècle. Dans les poèmes contemporains qu’il a traduits (ici, oeuvres de nouvelles voix d’Amérique), Jean Migrenne a dû surmonter d’autres difficultés.

En effet, la multiplicité des poètes retenus, qu’il s’agisse de Margo Berdeshevsky et de Marilyn Hacker, Américaines vivant à Paris, de Grace Schulmann, d’Yvette Christiansë et de Meena Alexander, toutes trois professeurs de littérature anglaise dans des universités de New York, de Rachel Hadas, de Marie Ponsot ou de Yusef Komunyakaa, également distingués universitaires, est source d’écueils. Le traducteur doit comprendre toutes les allusions, tous les contextes, ce qui n’est pas évident. En outre, il lui faut s’adapter à tous les styles et respecter le mouvement de chaque poème, comme dans ce bouleversant compte rendu d’Ocean Vuong (« autoportrait aux plaies de sortie du projectile ») ou encore dans ces récits au réalisme saisissant de Sapphire (« Vernis à ongles vert », « Laisse la lampe allumée »).

Muriel Rukeyser (1913-1980), portant ses regards sur « les origines convergentes de l’art et de la conscience politique, la force de la sexualité et de l’inconscient, l’aventure psycho-physiologique de la science et de la technique », est la seule de ces femmes de lettres à ne plus être de ce monde. Jean Migrenne nous offre la traduction de trois extraits de son Livre des morts, publié en 1938. Elle y dénonçait le traitement subi, en 1936, par de nombreux mineurs de Gauley (Virginie Occidentale), victimes de la silicose, après avoir creusé des tunnels, dans la complète indifférence de leurs patrons, pourtant fort au courant des dangers présentés par ce travail harassant. L’utilisation ingénieuse du vers libre aide beaucoup le traducteur, comme aussi la prose dans tel poème de Suzanne Gardinier qui, décidément, « en [a sa] claque des présidents » (« Washington, après l’élection. 2 février 2017 »).

Excellent traducteur, répondant aux critères de l’écrivain Vladimir Nabokov (« Le bon traducteur doit être un maître et non un petit maître »), Jean Migrenne se révèle aussi comme excellent vulgarisateur. Grâce à lui, grâce aussi à la belle revue Siècle 21, dirigée par Jean Guiloineau, nombre de nouvelles voix d’Amérique peuvent enfin être entendues en France. Nous leur en savons profondément gré.

Par Jean-Pierre Mouchon

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Jean Migrenne & alii, Siècle 21, Paris, n° 30, Printemps-Été 2017, 181 pages
Jean Migrenne & alii, Siècle 21, Paris n° 31, Automne-Hiver 2017, 203 pages