Proust et la stratégie militaire – Luc Fraisse

Le 20 avril 2019

Proust et la stratégie militaire – Luc Fraisse

À l’occasion du centième anniversaire de l’armistice de 1918, Luc Fraisse présente ici la volumineuse étude d’un sujet un peu particulier : alors que les rapports du romancier d’À la recherche du temps perdu à la guerre (la Grande Guerre, dit-on à l’époque) sont déjà connus, on n’avait jamais procédé à des fouilles concernant les lectures par lesquelles on sait pourtant que Proust a nourri une véritable passion pour la stratégie militaire.

Dans le cycle romanesque, dès le t. III, Le Côté de Guermantes, le héros venu dans la garnison de Doncières entre dans une vertigineuse conversation avec son ami jeune officier Robert de Saint-Loup et ses camarades de régiment, sur les secrets de l’art du stratège consistant à chiffrer l’organisation des batailles, à charge de l’ennemi de les déchiffrer. Pour parvenir à des
connaissances aussi précises, Proust a lu quotidiennement trois brillants chroniqueurs militaires, Joseph Reinach dans Le Figaro, Henry Bidou dans le Journal des débats, et le colonel Feyler dans le Journal de Genève. Luc Fraisse a dépouillé ces milliers de chroniques, et d’autres sources encore (Proust a tâché de s’approcher de certains généraux), qui font apparaître que les questions débattues dans le roman – les batailles nouvelles se calquent-elles sur des batailles du passé, tout a-t-il une signification dans les choix du stratège, la guerre obéit-elle à une pensée directrice du chef – entrent dans un vaste concert de débats historiques et politiques du temps. Mais, le héros de la Recherche étant secrètement destiné à devenir écrivain, ces
considérations symbolisent de bout en bout la démarche même du romancier. Quant au lecteur, soulignait notre collègue dès sa première phrase, il se sent fasciné par la stratégie militaire en ce qu’elle le met intuitivement en rapport avec le mystère mathématique de la vie.

Par Sébastien Baudouin

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Luc Fraisse, Proust et la stratégie militaire, Paris, Hermann, « Savoir Lettres », 2018, 482 pages