Histoire du STO – Raphaël Spina

Le 17 juin 2017

Histoire du STO – Raphaël Spina

Cet ouvrage a reçu le prix « Histoire » de la fondation Stéphane Bern pour l’histoire et le patrimoine en 2017.

À  la lecture de la très riche Histoire du STO de Raphaël Spina, le rapprochement avec Robert Paxton vient inévitablement à l’esprit. D’abord, par  comparaison, parce que Raphaël Spina édifie une ambitieuse monographie, la première, portant sur tous les aspects de cette autre « déportation », bien connue dans ses généralités mais mal connue dans son détail, que fut la « déportation du travail ». D’ailleurs, comme on le lit dans l’ouvrage,
le mot même de « déportation », appliqué au STO, est problématique tant prime, en tragique comme en nombre, la déportation vers les camps, au point que l’appellation de « déporté », communément usitée pour désigner pendant la guerre les requis, leur soit ensuite retirée après la libération des concentrationnaires.

Le rapprochement, en second lieu, s’impose par l’analogie des conclusions : comme Paxton l’avait montré pour les rafles dirigées contres les Juifs, les instructions de Laval et les campagnes de réquisitions menées par l’administration ont été, en matière d’envoi de travailleurs en Allemagne,  particulièrement zélées, excédant parfois les demandes de l’occupant.

On espère donc, pour l’Histoire du STO, une destinée historiographique aussi fameuse que pour La France de Vichy, de quarante-cinq ans son aîné. Avec la question du travail en Allemagne ou pour l’Allemagne, Raphaël Spina trouve un objet historique idéal : il nous fait traverser quasiment toute la guerre, depuis la Relève jusqu’au retour d’Allemagne, il explore toutes les classes sociales, depuis les ouvriers jusqu’aux normaliens, il touche toutes les régions, l’hétérogénéité des territoires dans la complaisance des autorités ou dans la propension au réfractariat étant montrée en détail et
de manière chiffrée, il donne matière à une analyse collective et statistique tout comme à la restitution de nombreux témoignages individuels, souvent recueillis de première main, et qui attestent de la somme exceptionnelle de connaissance servant de socle à l’ouvrage. Mais surtout, avec le STO, Raphaël Spina scrute en détail l’un des principaux facteurs d’adhésion à la Résistance. C’est avec l’intensification des réquisitions que les maquis, en
1943, voient grossir leurs rangs. L’arbitraire et l’ampleur des deuxième et troisième campagnes Sauckel cristallisent, pour les requis, une alternative
de plus en plus claire entre départ en Allemagne et entrée en Résistance, le maquis devenant, après une période charnière de dissimulation dans les fermes, le moyen privilégié de se soustraire à la douloureuse condition des exilés tout comme aux poursuites qu’encourent les réfractaires. Ainsi, la nature originale de la Résistance intérieure en France, comparée aux autres mouvements de résistance dans l’Europe occupée, davantage issus des restes des armées régulières, tient, entre autres, au STO et à l’énormité de la demande de travailleurs que l’Allemagne fait peser sur la zone occupée
comme sur la zone libre.

S’il est fréquent de voir paraître d’épais volumes sur de petits sujets et sur de grands sujets de petits et timides traités, il est rare de pouvoir saluer, comme c’est ici le cas, l’ambition d’un historien entreprenant de couvrir largement un grand sujet, et conciliant sans effort clarté des synthèses et intérêt des détails.

Par Hugues Schmitt

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Raphaël Spina, Histoire du STO, Paris, Éditions Perrin, 2017, 570 pages