Discours prononcé à l’occasion de la Nuit de l’agrégation
Par Société des agrégés, le 8 novembre 2016
Discours prononcé à l’occasion de la Nuit de l’agrégation, organisée par la Société des agrégés pour fêter les 250 ans de l’agrégation
Chers amis,
Je suis heureuse de vous accueillir, bonjour à ceux que je n’ai pas eu le temps de saluer tout à l’heure. La ville éclairée, la Seine illuminée, voilà un cadre propice à la célébration de l’anniversaire du concours de l’agrégation, fille du siècle des Lumières.
A la Société des agrégés, nous aimons les anniversaires : il y a deux ans, nous fêtions notre centenaire au Sénat. Certains d’entre vous étaient déjà là. Dans deux ans, nous fêterons les 70 ans de l’union des deux sociétés des agrégés masculine et féminine. Ces anniversaires nous donnent l’occasion de promouvoir le concours. Tous les jours, à la Société des agrégés, nous travaillons inlassablement à faire connaître le concours, à assister les agrégés dans toutes les étapes de leurs carrières, à proposer notre aide aux agrégatifs, que je sais nombreux parmi nous ce soir et c’est une grande joie.
Notre concours fut créé par Louis XV, pour remédier au vide laissé par l’expulsion des congrégations religieuses qui avaient une grande part dans l’enseignement en France. Il fallait trouver des professeurs qui fussent dotés de solides connaissances mais aussi d’une certaine indépendance d’esprit.
Il y a 250 ans, trois sections s’offraient aux candidats et aujourd’hui c’est un majestueux édifice d’une trentaine de sections et d’options. Le concours a évolué avec la spécialisation des connaissances et leur progrès continu, et l’on peut dire que rien de ce qui est digne d’être enseigné ou transmis n’est étranger à l’agrégation.
Peut-être avez-vous eu la curiosité de lire le sujet contenu dans l’enveloppe qui vous a été remise à l’entrée. Préparez-vous, certains d’entre vous seront désignés pour le traiter ! J’ai ici la liste des invités !
Vous le voyez, les lauréats démontrent leur capacité à construire des démonstrations sur «les forces intermoléculaires» ou sur «le champ cristallin» ; à bâtir un exposé sur la «contribution des vaisseaux dans la circulation sanguine chez les Mammifères» ou sur «le fonctionnement cardiaque à l’échelle cellulaire» ; à s’interroger sur des concepts : «le silence», «l’intention», «la maturité» ou encore à évoquer «Les crises du logement en Europe au XXe siècle» ou «l’analyse tocquevillienne de la démocratie»…
Et les épreuves sont variées, portant chaque fois sur la discipline principale mais sur d’autres disciplines aussi, sur des disciplines voisines : langues vivantes pour les lettres, esthétique pour l’art plastique, histoire pour l’EPS… L’idéal des encyclopédistes est là, sous nos yeux.
Dans le discours préliminaire de l’encyclopédie, D’Alembert explique que cet ouvrage doit en tant qu’encyclopédie « exposer autant que possible l’ordre et l’enchaînement des connaissances humaines » et en tant que dictionnaire raisonné « contenir sur chaque art […] les principes généraux qui en sont la base ».
Dans un monde incertain, où nous avons besoin de pierre de touche pour distinguer le vrai du faux, l’éphémère du stable, la connaissance de la croyance, l’agrégation qui a traversé sans faillir plusieurs siècles et plusieurs régimes politiques peut jouer ce rôle. Constituant à un instant donné le corpus des connaissances dans un grand nombre de disciplines, les programmes de l’agrégation sont, à leur manière, une encyclopédie contemporaine. A mi-chemin entre la recherche et l’enseignement, dans cet entre-deux où notre concours se plaît – c’est une particularité française et c’est toute sa force – les programmes sont une référence commune et solide pour toute l’éducation nationale.
Il est fort rare, au cours d’une vie de retrouver l’intensité et l’efficacité de l’apprentissage auquel contraint l’agrégation. Que l’on soit admis ou non, elle est une formation de tout l’esprit et de tout l’être. Elle apprend rapidité, vivacité, clarté, fiabilité, rigueur, constance… autant de qualités qui sont celles du savant, comme de l’homme ou de la femme d’action, bref de l’honnête homme de tous les âges et de tous les siècles.
En célébrant ces 250 ans, nous rendons hommage à la stabilité et à la pérennité de principes forts : l’indépendance, la transparence dans la distribution des places, l’excellence.
A travers le concours, nous rendons aussi hommage aux grandes figures qui ont incarné ces principes. Elles ont été, chacune à leur manière, des modèles. Je ne peux toutes les citer mais voyons. Cherchons parmi les philosophes Bergson (philosophie 1881), Durkheim (philosophie 1882), Alain (philosophie 1892), Bachelard (philosophie 1922), Aron (philosophie 1928), Sartre (philosophie 1929), Beauvoir (philosophie 1929), Foucault (philosophie 1951). Parmi les historiens Jules Michelet (lettres 1821), Ernest Lavisse (histoire et géographie 1865), Fernand Braudel (histoire et géographie 1923). Parmi les écrivains Jules Romains (philosophie 1909), Julien Gracq (histoire et géographie 1934), Henri Queffélec (lettres 1934), Jacqueline de Romilly (lettres 1936). Parmi les scientifiques Marie Curie (mathématiques 1896). Parmi les hommes politiques Jean Jaurès (philosophie 1881), Edouard Herriot (lettres 1894), Georges Pompidou (lettres 1934)…
Parmi les dizaines de milliers d’agrégés, chacun possède ses héros et ses figures personnelles, chacun garde dans le secret de son cœur un ou plusieurs de ces professeurs qu’il n’oubliera jamais parce qu’ils ont transformé sa vie. Je souhaite que cette soirée soit l’occasion de nous remémorer nos agrégés illustres et nos agrégés inconnus, d’apprécier ce que la France a su créer en eux et par eux, ce que la France doit conserver et valoriser pour l’avenir.
Je souhaite que cette soirée soit l’occasion de célébrer la générosité, le respect et l’admiration, dans un moment où la France semble les avoir oubliés, prise dans un climat pestilentiel de critiques, de rivalités et de méchanceté qui lui fait perdre jusqu’au sens de ce qu’elle sait faire de meilleur – je ne parle pas ici seulement de l’agrégation mais de cette passion mauvaise qui pousse à considérer que l’intelligence naît du trait de mauvais esprit. Je souhaite que cette soirée soit l’occasion d’illustrer de façon positive notre savoir.
Vous le savez, elle est placée sous le haut patronage du ministère de l’Education nationale que Najat Vallaud-Belkacem lui a volontiers accordé, témoignant ainsi du soutien de l’institution et de la reconnaissance de l’importance de l’agrégation dans l’édifice éducatif. Nous recevrons tout à l’heure la ministre, qui s’est spontanément proposée pour traiter le sujet de sciences économiques et sociales.
Le temps nous est compté et nous n’avons pu faire apparaître toutes les sections sur scène mais nous trouverons certainement d’autres manifestations à venir pour que vive l’agrégation!