Défense et illustration de la langue française

Par Société des agrégés, le 22 mai 2017

Défense et illustration de la langue française

Discours prononcé à l’occasion de la remise du prix Du Bellay à la Maison d’éducation de la Légion d’honneur de Saint-Denis – 22 mai 2017

Madame la Surintendante, Mesdames et Messieurs les Professeurs, chères élèves,
Je suis heureuse d’être parmi vous aujourd’hui et très honorée de participer à cette première remise de prix du concours Du Bellay 2017.
Il faut avouer que ma tâche est difficile, alors que nous célébrons aujourd’hui notre langue française sous les auspices de son plus illustre penseur, auteur de cette Défense et illustration que vous connaissez tous.
L’exercice, déjà périlleux en soi, de devoir prolonger l’attente d’un auditoire impatient, tendu tout entier vers la proclamation des résultats, se double du danger de faire pâle figure. Quel écueil plus terrible que d’aller se montrer soi-même piètre défenseur d’une langue que l’on voudrait tant servir de son mieux ?
Alors, faisons front ! Je vais vous parler de cette lutte, de ce travail permanent et nécessaire, de cet exercice personnel et quotidien que sont contraints d’entreprendre même les plus habiles et les plus doués d’entre nous. Écrire et parler français est un art, un art difficile et beau.
Peut-être l’avez-vous un peu oublié ? Je l’oubliais bien, moi, lorsque j’étais à votre place. Certains jours, je ne voyais plus derrière les montagnes de dissertations à rendre, les piles de thèmes et de versions, les amas de livres à lire, la chance qui m’était donnée : tout ce temps consacré à l’étude et à l’exercice ! Où l’on ne vous demande finalement que de travailler pour vous-mêmes et pour l’accroissement de vos richesses intérieures.
Impatientes peut-être de vous engager sur d’autres voies, vous ne songez sans doute pas que la vraie vie est là, que tous ces livres seront plus tard une consolation, que toutes ces belles citations retenues, que tous ces textes découverts seront autant d’illustrations donnant plus de relief à votre vie.
Au détour d’une page, la fulgurance d’une pensée qui frappe : cet auteur vous parle. À quelques siècles de distance, il vous est donné d’entendre sa voix, de partager ses pensées, de vous y reconnaître peut-être.
Qui n’aime à réciter, pour le seul plaisir, certaines fables de La Fontaine que nous avons apprises enfants comme une longue suite de sonorités éclatantes, avant de pouvoir nous émerveiller, quelques années plus tard, sur des finesses enfin révélées ? L’archaïsme d’un mot souligné à dessein, le temps d’un verbe adroitement choisi. C’est Perrette, partie à rêver sur sa fortune à venir, fortune censée naître d’un pot rempli de lait. L’apparition de l’imparfait suffit à révéler la profondeur de son illusion : « Le porc à s’engraisser coûtera peu de son ; Il était quand je l’eus de grosseur raisonnable ».
Ici la fulgurance avec La Fontaine, là le cheminement avec Proust dont la phrase, vous l’avez remarqué et peut-être en avez-vous souffert lors de la dictée, est plus sinueuse. Comment ne pas admirer le texte qui vous était proposé ? Proust, travaillant à partager avec son lecteur les particularités de l’émotion musicale. Qui a jamais rendu sensible, comme lui, l’expérience esthétique ? Sa Recherche est un roman à vivre.
Nous avons de la chance : le français est une langue difficile parce qu’il nous contraint à penser. Chaque phrase demande une construction solide dont le raisonnement ne peut être absent. Chaque difficulté est une subtilité. Et chaque subtilité est une beauté.
De la transmission de ces exigences, nous sommes tous responsables. Une langue qu’on ne parle pas, qu’on n’écrit pas, meurt sans retour.
Peut-être pensez-vous que la charge n’en incombe qu’à vos professeurs ? Vous vous trompez. Dans chaque devoir que vous rendez, vous livrez bataille. Dans chaque lettre que vous écrirez plus tard, chaque discours… Vous serez parfois vaincues ; une phrase tombera mal, un mot sera importun, une expression ne vous comblera pas. Mais vous aurez la satisfaction d’avoir contribué à faire vivre la langue française.
Que vous soyez lectrice, commentatrice ou auteur, ne perdez aucun moment, sachez vous émerveiller de ses beautés, vous confronter à ses difficultés. Participant à ce concours Du Bellay, vous vous êtes déjà engagées sur ce chemin.
Le Bureau de la Société des agrégés soutient les initiatives permettant aux élèves de se dépasser. Il reçoit avec bienveillance les propositions de parrainage et les projets : www.societedesagreges.net