“Sois original !” : la pire des injonctions paradoxales

Par Société des agrégés, le 7 mars 2018

“Sois original !” : la pire des injonctions paradoxales
C’est devenu un marronnier : à chaque session du concours de l’ENA, le jury d’affirmer que vraiment, les candidats ne font pas preuve d’originalité, qu’ils sont conformistes, incapables de réflexion personnelle…
La critique pousse rarement jusqu’aux sujets donnés ou aux formations dont sont issus les membres du jury comme les candidats, c’est-à-dire les instituts d’études politiques autrement appelés «sciences po», devenus experts de la conférence mondaine, de la note de synthèse impersonnelle et de la « culture gé » de masse.
Ces préparations jouent mal leur rôle car c’est l’absence de savoir-faire et le manque de connaissances maîtrisées qui aboutissent au conformisme : quand on ne sait pas comment réaliser un exercice, quand on doit rattraper un retard important, avaler des fiches et apprendre par cœur des plans apparaît la moins mauvaise des solutions.
Enfin, il faut reconnaître que les sujets proposés sont eux-mêmes bien souvent convenus. Si leur intitulé ne rappelait pas celui de chapitres de manuels, les candidats auraient sans doute plus de mal à se contenter de répéter leurs cours.
Les solutions pour remédier à ce mal moderne ne considèrent aucun des points précédents. Au contraire, elles vont dans le sens d’un nouveau conformisme : donner plus de place à l’oral, accorder plus d’importance aux rubriques «centres d’intérêt» et «engagements associatifs» des CV qu’à la partie «formation académique»… Comment cela permettrait-il de donner plus de corps aux pensées de jeunes de 18 à 25 ans dont on ne peut exiger qu’ils soient des sages avant l’heure ou qu’ils aient vécu plusieurs vies?
Il existait autrefois un concours qui permettait le recrutement d’esprits curieux : le concours d’entrée à la rue d’Ulm. Aucun renseignement demandé sur le candidat ni sur ses centres d’intérêts. Aucun programme mais aucun domaine interdit. Des sujets inventifs. Un jury prêt à écouter des développements singuliers sans céder sur l’exigence intellectuelle du contenu.
Peu à peu, malheureusement, les épreuves sur programme envahissent tout. Elles sont peut-être rassurantes pour le candidat mais elles encouragent moins la prise de risque, l’ouverture d’esprit et l’art de puiser dans toutes les disciplines pour répondre à une question donnée. Le hors-programme ne survit plus que dans quelques sections de l’agrégation.
Ce qui est attristant, c’est que l’on ne remonte pas aux causes qui sont les mêmes partout en France : contractualisation des contenus d’examens et de concours, abandon des exercices scolaires classiques comme la dissertation qui, une fois la méthode acquise, pouvait donner lieu à des développements originaux parce que la maîtrise de la forme donne une grande liberté dans le contenu.
Si l’on n’y prend garde, le lycée continuera sur cette mauvaise pente : intitulés pompeux et creux des enseignements, absence de maîtrise des exercices faute d’entraînement, réponses obligées à des questionnaires de plus en plus précis, grand oral présentant des recherches collectées sur internet, bref, l’ère du copier-coller et du vide rhétorique.
Dans un tel contexte, avec si peu d’aliments, « Sois original !» est sans doute la pire des injonctions paradoxales de notre temps et un commandement terrifiant à recevoir à l’orée de sa vie d’adulte.