Vœu du Comité : pour la survie de l’École républicaine
Par Société des agrégés, le 30 novembre 2024
Le Comité de la Société des agrégés lance un cri d’alarme sur l’état de l’enseignement et propose des mesures pour sauver l’école républicaine
Exposé des motifs
Le Comité de la Société des agrégés lance un cri d’alarme sur l’état général de l’enseignement. Il constate que, depuis des décennies, les politiques éducatives, des réformes mal conçues et l’absence d’une véritable revalorisation ont contribué à l’aggravation des conditions de travail de tous les personnels, à une diminution des savoirs acquis par les élèves et à une crise sans précédent de l’attractivité du métier de professeur. L’école républicaine, qui a pour devoir de favoriser la promotion intellectuelle, culturelle et sociale de tous les élèves, en permettant à chacun, quel que soit son milieu d’origine, en fonction de ses efforts et de ses talents, de tendre vers l’excellence, est en péril.
Les avertissements incessants de la Société des agrégés et des organisations professionnelles soucieuses de défendre la qualité de l’enseignement n’ont pas été suffisamment entendus. Les ministres successifs n’ont eu ni la volonté ni le courage de mettre en œuvre les mesures nécessaires pour que le système éducatif soit effectivement un lieu de transmission des savoirs, d’émancipation des esprits et d’apprentissage du jugement critique, où les élèves peuvent s’instruire, se libérer des préjugés et développer au maximum leurs capacités. C’est toute la politique éducative qui doit être refondée par un retour aux sources de l’école républicaine.
Les politiques menées ces dernières années en France, comme au niveau européen, prônent le plus souvent une adaptation des systèmes éducatifs aux besoins du marché et de la compétition économique. Elles subissent également des influences idéologiques qui peuvent être contestées. Elles sont enfin soumises à des considérations budgétaires, si bien que des mesures sont prises en fonction de leur coût et non de leur utilité pour rehausser le niveau de l’enseignement ou améliorer les conditions de travail des professeurs et des élèves.
Sans remettre en cause l’intérêt d’une coopération européenne et internationale, qui doit être définie par le Parlement, lui-même représentant le peuple français, sans contester l’importance pour un pays du développement économique ni la nécessité de l’insertion professionnelle et d’un usage rationnel des fonds publics, la Société des agrégés estime que les politiques éducatives doivent se fonder, avant tout, sur les principes de la République.
C’est dans cet objectif que les instances de la Société des agrégés – Bureau, Comité et Assemblée générale – continueront de réfléchir et de faire des propositions pour une véritable refondation de l’École, qui remette le savoir au centre du système éducatif et redonne du sens au métier de professeur.
Le Comité de la Société des agrégés, réuni le 30 novembre 2024, a choisi de réaffirmer sa position sur les réformes du collège et du lycée, ainsi que sur le projet de réforme de la formation initiale et le recrutement des professeurs. Il propose des mesures susceptibles d’en pallier les défauts, voire les erreurs de conception, en espérant que les autorités gouvernementales et la représentation nationale les entendront. Ces mesures ont un coût, mais elles constituent un investissement pour l’avenir qu’un gouvernement responsable doit assurer, en procédant éventuellement par étapes, dont la réalisation serait garantie par un plan pluriannuel.
La réforme du collège
Historique des réformes
Le collège unique, institué par la loi Haby du 11 juillet 1975 et mis en œuvre à la rentrée 1977, était censé constituer l’aboutissement d’un processus de démocratisation et d’ouverture de l’enseignement secondaire à tous les enfants, objectif que la Société des agrégés partage de longue date. Il a cependant rapidement montré ses limites : hétérogénéité excessive des élèves, difficultés de gestion et d’adaptation qui en résultent, inégalité entre les établissements, nivellement et médiocrisation de l’enseignement…
De fortes disparités demeurent entre les collégiens dans leurs résultats scolaires, leurs relations au travail ou leurs comportements. De nombreuses études montrent que les écarts se creusent dès l’école primaire et se renforcent tout au long de la scolarité, dans le niveau scolaire et dans les orientations. Une forme d’auto-sélection et d’auto-censure persiste chez les enfants issus de catégories sociales défavorisées.
Ni les réformes ultérieures (socle commun de connaissances et compétences en 2005, loi sur la refondation de l’école de 2013, réforme du collège de 2016) ni les aménagements successifs n’ont permis de pallier les défauts inhérents au système.
Les mesures du « choc des savoirs », décidées par le ministre Gabriel Attal, et, notamment, l’instauration de « groupes de niveau » ou « de besoins » ont été diversement appliquées, souffrant du manque de moyens en horaires et personnels et aggravant les difficultés de confection des emplois du temps et, plus généralement, les conditions de travail des élèves et des professeurs. Faute de moyens supplémentaires pour établir ces groupes, il a fallu, le plus souvent, supprimer les dédoublements existants, l’accompagnement personnalisé, l’heure de chorale et réduire l’horaire consacré aux options, notamment de langues anciennes.
Une réduction continue des horaires disciplinaires
Le nombre d’heures d’enseignement devant élèves a diminué dans plusieurs matières, tous niveaux confondus. La marge de manœuvre en heures supplémentaires consacrées aux projets, sorties, surveillances, et autres, est très limitée. À quoi s’ajoute une érosion de la dotation horaire globale (DHG) depuis plusieurs années. Par exemple, l’enseignement du français en sixième est passé de 6 heures hebdomadaires en 1966, avec deux fois 3 heures en demi-groupes, à 4,5 heures en 2024. Plus généralement, les réformes des dernières décennies ont réduit la part de la langue et de la littérature françaises dans l’enseignement secondaire. On pourrait en dire autant d’autres disciplines.
Comment rehausser le niveau et l’efficacité de l’enseignement
Une école au rabais porte préjudice à tous les élèves et, notamment, aux élèves issus de milieux défavorisés. Pour développer l’égalité des chances et rehausser le niveau de l’enseignement, en attendant une réflexion approfondie sur les structures du collège, des solutions partielles peuvent être mises en œuvre. Si chacune est insuffisante à elle seule, ajoutées les unes aux autres, elles permettraient sans doute des progrès sensibles :
- Augmenter les heures d’enseignement, notamment en français, dont la maîtrise est indispensable à la compréhension des autres disciplines ;
- mettre à la disposition des professeurs de français et de mathématiques des heures de dédoublement pour instaurer eux-mêmes des groupes dans leurs classes en fonction des besoins de leurs élèves ;
- réduire les effectifs, notamment pour les élèves en difficulté ;
- créer des voies d’excellence dans les zones d’éducation prioritaire ;
- développer les internats pour éviter de longs trajets ou donner aux élèves de meilleures conditions de travail personnel, notamment des internats d’excellence ;
- repérer les élèves manifestant de hautes capacités, les accompagner et les pousser en avant au sein de l’éducation nationale.
Le déterminisme social n’est pas une fatalité
La Société des agrégés estime que le déterminisme social est une réalité, mais n’est pas une fatalité. Les conditions de vie des parents, leurs ressources économiques et culturelles, leur habitat, sont plus ou moins favorables à la réussite scolaire. Il appartient à l’État de faire en sorte de réduire au maximum ces disparités par des mesures sociales, financières et pédagogiques.
La réforme du lycée
La réforme du lycée mise en place à la rentrée 2019 a supprimé les filières ES, L, et S de la voie générale et propose désormais aux élèves le choix entre différents enseignements de spécialité. Elle instaure également un baccalauréat aux épreuves écrites réduites, reposant désormais sur une grande part de contrôle continu. Sa mise en œuvre a permis d’identifier plusieurs défauts structurels majeurs, que la Société des agrégés avait dénoncés dès la conception de la réforme et qui doivent être corrigés.
Les défauts structurels
On peut relever notamment les défauts suivants :
- Le nécessaire abandon d’une des trois spécialités en terminale ne permet pas une formation intellectuelle complète. Par exemple, un élève souhaitant s’orienter vers une CPGE scientifique BCPST va souvent abandonner la spécialité Mathématiques pour garder les spécialités Physique-Chimie et SVT.
- La suppression des filières ES et S a eu pour effet de réduire la part des élèves, notamment la part des filles suivant un enseignement soutenu de Mathématiques, ce qui va à l’encontre des objectifs de réindustrialisation du pays, d’égalité professionnelle et de féminisation des métiers scientifiques.
- Le maintien de classes à côté de groupes de spécialité a contraint le ministère à mettre en place, en première et en terminale, un enseignement scientifique rassemblant des élèves suivant des spécialités scientifiques avec d’autres n’en suivant pas, situation qui n’a pas beaucoup de sens, ni pour les élèves ni pour les enseignants.
- La philosophie a perdu sa place d’enseignement emblématique de la formation de tout lycéen puisque son coefficient au baccalauréat est bien inférieur à celui des enseignements de spécialité et du Grand oral.
- Le Grand oral est une épreuve pour laquelle il n’y a pas d’heures d’enseignement dédiées et dans laquelle la fraude (reprise d’un travail déjà fait acheté sur Internet, utilisation de l’intelligence artificielle, etc.) ne peut être contrôlée.
- L’inflation des notes qui brouille l’évaluation du niveau réel des élèves est un phénomène alimenté par trois sources : la mise en concurrence des matières pour attirer des élèves à elles, la pression générée par Parcoursup et la visée d’un certain taux de réussite au baccalauréat, qui s’élève désormais à plus de 96 %.
- La proposition de différents enseignements de spécialité rend les choix d’orientation plus difficiles à opérer et cela pour deux raisons : le nombre de combinaisons possibles est particulièrement élevé et les attendus des formations du supérieur ne sont pas toujours clairs.
- La volonté de proposer la plus large gamme de spécialités dans tous les lycées conduit à avoir certains groupes de spécialité surchargés d’élèves alors que d’autres se font avec des effectifs réduits, ce qui ne constitue pas une allocation rationnelle des ressources budgétaires limitées.
- Contrairement à l’ambition initiale, les Mathématiques restent un enseignement sélectif puisque leur pratique en spécialité est exigeante et reste un prérequis à l’entrée dans de nombreuses formations, ce qui est rarement le cas pour d’autres spécialités.
- Certaines disciplines pâtissent de la réforme, certaines options sont sacrifiées, notamment les langues anciennes, les LVC, les disciplines artistiques ainsi que les sciences industrielles, tandis que la nouvelle spécialité NSI se développe en première mais guère en terminale.
Comment pallier les défauts inhérents à la réforme du lycée
Pour remédier à cette situation, il serait possible, sans procéder une nouvelle fois à de grands bouleversements, de mettre en œuvre les mesures suivantes :
Si l’on garde le système actuel :
- Réfléchir aux modalités d’introduction d’une troisième spécialité en terminale.
- Formuler, au niveau national, et proposer aux élèves des combinaisons cohérentes de spécialités (par exemple : Mathématiques fondamentales, Physique et NSI ou SI ou SVT ; Mathématiques appliquées, SES et HLP ou HGGSP ou LLCE ; HLP, Math. Appli. et LCA ou LLCE ; HLP, HGGSP et LLCE ou LCA ; HLP, Arts, LLCE ou LCA) en indiquant pour chacune dans quels projets d’études et d’orientation elle peut s’inscrire, et demander aux élèves de seconde qui sollicitent une combinaison hors de cette liste de justifier un tel projet.
Si l’on modifie le système actuel :
- Rétablir les filières de la voie générale. En effet, cette ancienne organisation avait été plutôt satisfaisante pour à la fois élever la part des élèves d’une génération accédant au baccalauréat et maintenir le niveau de formation attesté par ce premier diplôme universitaire.
- Le contenu des anciennes filières ES, L et S pourrait être revu à la marge (par exemple : renforcement de l’enseignement mathématique et scientifique en filière L, renforcement des Lettres et de la Philosophie en filière S, maintien du statut ancien d’enseignement obligatoire des SES en seconde et proposition de cet enseignement à l’ensemble des lycéens et pas seulement à ceux suivant la filière ES).
Dans tous les cas :
- Maintenir les possibilités d’options (langues et cultures de l’Antiquité, langues vivantes supplémentaires…).
- Le contrôle continu ayant des effets négatifs (pression permanente sur les élèves et les enseignants), il conviendrait également de réinstaurer des épreuves finales nombreuses attestant de la maîtrise entière du programme de la classe de terminale. Il faut noter, à cet égard, la contradiction qui consiste à retirer, dans les faits, au baccalauréat sa valeur diplômante et à vouloir, en diminuant la part de contrôle continu au brevet, faire de ce dernier un prérequis pour l’entrée au lycée. Ce sont tous les diplômes, du brevet à la licence, qu’il convient de revaloriser.
Ces mesures, qui ne sont pas exhaustives, auraient sans doute un coût horaire supplémentaire, mais la qualité d’une réforme doit être appréciée, non seulement à son coût, mais aussi à ses effets sur la qualité de l’instruction des élèves et la valeur du baccalauréat.
La formation initiale et le recrutement des professeurs
La qualité de l’enseignement ne dépend pas seulement des structures ni de l’organisation pédagogique des collèges et des lycées, elle est également liée à la qualification du corps professoral.
Un projet de réforme inacceptable
À cet égard, la Société des agrégés dénonce le projet de réforme de la formation initiale et du recrutement, ajourné, dans un premier temps, compte tenu de la conjoncture politique, mais que le nouveau gouvernement semble vouloir reprendre. Un concours placé à bac + 3, présenté au cours de la troisième année de licence, ne permettrait pas, dans l’état actuel de l’enseignement, de garantir chez les candidats la maîtrise de la discipline qu’ils devront enseigner. Le ministère croit pouvoir remplacer les connaissances académiques par des compétences mécaniquement acquises, qui seraient entretenues ou renouvelées par une formation continue tout au long de la carrière.
Pour un recrutement exigeant
La Société des agrégés rappelle que la maîtrise de la discipline est la première des compétences pédagogiques et que l’on ne peut bien enseigner que ce que l’on domine. Elle demande que le nouveau CAPES se situe à bac + 4, dont une année de préparation spécifique, qu’il comporte des épreuves exclusivement disciplinaires, permettant de garantir la maîtrise des savoirs chez les candidats recrutés, et que soient rétablis des instituts de préparation aux enseignements de second degré (IPES), supprimés en 1979 , où des élèves-professeurs, sélectionnés par concours, seraient rémunérés pendant 3 ans pour préparer le CAPES, une année supplémentaire pouvant être accordée aux meilleurs d’entre eux pour préparer l’agrégation.
Quant au concours de l’agrégation, non concerné par la réforme, il doit être maintenu avec les conditions d’inscription et les modalités actuelles. Le ministère doit également prendre les dispositions nécessaires pour que les professeurs agrégés, conformément à leur statut, « assurent leur service dans les classes préparatoires aux grandes écoles, dans les classes de lycée, dans des établissements de formation et, exceptionnellement, dans les classes de collège[…]. Ils peuvent également être affectés dans des établissements d’enseignement supérieur. »
La protection des élèves, des professeurs et de tous les personnels
Pour que les élèves et les professeurs puissent travailler dans des conditions sereines, les élèves, les professeurs et tous les personnels doivent être protégés contre les agressions physiques ou verbales, contre toutes les formes de harcèlement ou de discrimination. Tous les agents publics doivent pouvoir bénéficier de la garantie d’une protection fonctionnelle, en accord avec le statut de fonctionnaire qui est le leur.
De la même façon, il faut refuser, dans tous les établissements, l’exercice de pressions idéologiques sur les professeurs ou sur les élèves, quelle qu’en soit la nature. L’Éducation nationale doit renouer avec les instructions du ministre Jean Zay, dans les circulaires du 31 décembre 1936 et du 15 mai 1937 : « L’enseignement public est laïque. Aucune forme de prosélytisme ne saurait être admise dans les établissements, je vous demande d’y veiller avec une fermeté sans défaillance » (1936). « Tout a été fait dans ces dernières années pour mettre à la portée de ceux qui s’en montrent dignes les moyens de s’élever intellectuellement. Il convient qu’une expérience d’un si puissant intérêt social se développe dans la sérénité. Ceux qui voudraient la troubler n’ont pas leur place dans les écoles qui doivent rester l’asile inviolable où les querelles des hommes ne pénètrent pas » (1937).
L’État et les collectivités locales doivent, comme employeurs, protéger leurs agents, et, comme opérateurs de service public, leurs usagers. La Société des agrégés estime que le respect de la fonction professorale, le respect des personnes, le respect du savoir et de la science, le respect des lois et de l’État de droit sont des conditions nécessaires d’un enseignement républicain et plus généralement d’une société républicaine. Le meilleur moyen de lutter contre l’obscurantisme est de garantir que l’école soit un lieu de transmission du savoir et de prendre résolument toutes les dispositions nécessaires pour parvenir à cette fin. Seuls des esprits libres peuvent former des esprits libres dans une société libre.
Rester fidèle aux principes de l’École républicaine
La Société des agrégés rejette toute conception de l’enseignement qui aboutirait, sous des faux-semblants égalitaires, à créer deux catégories de citoyens : une minorité, qui prétendrait savoir ce qui est bon pour le bonheur du peuple, et une masse d’exécutants, destinés à obéir sans se poser de questions et habitués à cette condition. Ce serait le contraire de l’école républicaine, le contraire de la démocratie, le contraire de l’humanisme.
C’est à sa capacité de dispenser un enseignement exigeant sur tout le territoire, à son ambition de permettre à tous les élèves, quel que soit leur milieu d’origine, de tendre vers l’excellence, à sa volonté de promotion culturelle, intellectuelle et sociale de tous, qu’un État reste fidèle aux principes de l’école républicaine. C’est l’objectif que la Société des agrégés assigne à l’école et qu’elle continuera de défendre résolument auprès du gouvernement, de la représentation nationale et de l’opinion publique.