Lettre au ministre sur la formation des enseignants

Par Société des agrégés, le 13 novembre 2023

Le Bureau de la Société a écrit la présente lettre ouverte au ministre de l’Éducation nationale.

Monsieur Le Ministre,

C’est à la fois avec satisfaction et inquiétude que nous avons pris connaissance des scénarios de réforme de la formation initiale des enseignants présentés par le ministère aux syndicats, le mercredi 8 novembre.

Satisfaction, parce qu’il apparaît que le concours de l’agrégation est maintenu sous sa forme actuelle. Inquiétude, parce qu’il nous semble que le scénario qui aurait votre préférence pour le second degré (concours à bac +3, à la fin de l’année de licence, suivi de deux années de formation professionnelle menant à un master) pourrait être préjudiciable à la qualité du recrutement des professeurs certifiés, qui constituent la grande majorité des personnels en collège et en lycée.

Les savoirs ne peuvent, en effet, être efficacement transmis que si tous les personnels qui sont chargés de cette mission dominent eux-mêmes les disciplines qu’ils doivent enseigner. L’expérience montre que, dans la situation actuelle de l’enseignement, beaucoup d’étudiants en licence n’ont pas, à ce stade de leurs études, acquis un niveau de connaissances ni de méthodes suffisant pour garantir qu’ils pourront maîtriser plus tard leur discipline, même si la formation disciplinaire se poursuit pendant les deux années conduisant au master. À cet égard, le retour à une année de préparation spécifique au CAPES après l’obtention de la licence, qui a fait ses preuves dans le passé, serait sans doute une meilleure solution.

Si vous souhaitiez toutefois confirmer ce scénario, il serait impératif de rehausser préalablement l’exigence du savoir dans toute la scolarité, notamment dans le cycle terminal du lycée et en licence. Faute de quoi, compte tenu du manque d’attractivité du métier de professeur, on serait contraint de recruter des étudiants qui n’auraient pas tous la capacité de dominer le savoir qu’ils seront chargés de transmettre.

De plus, il est nécessaire de mener une réflexion sur la nature du concours et le contenu de la formation qui suivrait. Les premiers éléments d’information à ce sujet, comme la volonté d’introduire en licence une « entrée progressive dans le métier avec des périodes de présence en établissement », laissent présumer une professionnalisation précoce de la formation au détriment de la maîtrise disciplinaire. Or, pour les raisons que nous vous avons exposées, les étudiants qui se destinent à l’enseignement ont d’abord besoin d’une consolidation et d’un approfondissement de leurs savoirs disciplinaires. Pour « remettre le respect de l’autorité et les savoirs fondamentaux au cœur de l’École », comme vous vous y êtes engagé, la formation initiale doit être disciplinairement solide et exigeante, car l’autorité du maître trouve sa légitimité dans l’autorité du savoir et la maîtrise du savoir est la première des compétences pédagogiques.

De la même façon, il conviendrait de restaurer, dans les deux années suivant le concours, la prédominance de la formation disciplinaire et donner aux futurs professeurs les moyens d’exercer avec responsabilité leur liberté pédagogique pour qu’ils puissent adapter leurs méthodes aux élèves qui leur sont confiés. Il faudrait revoir en ce sens le contenu des masters MEEF et donner aux étudiants la possibilité, s’ils le souhaitent, de préparer, à l’Université, un master disciplinaire de recherche.

Enfin, la réforme envisagée pour le CAPES permettrait sans doute une articulation plus nette avec l’agrégation. Ce concours recrute des étudiants particulièrement brillants qui se destinent à l’enseignement secondaire et à l’enseignement supérieur. Toutes facilités devraient être accordées, pour préparer l’agrégation externe, aux lauréats du nouveau CAPES qui manifesteraient, pendant les deux années de master, une excellence disciplinaire. La réforme du recrutement que vous envisagez pourrait aussi donner l’opportunité de préciser le rôle et les missions spécifiques des agrégés dans le système éducatif, qui doit se traduire notamment par leur affectation prioritaire dans les lycées, dans les classes post-baccalauréat et dans l’enseignement supérieur.

Le Bureau de la Société des agrégés renouvelle avec insistance sa demande d’audience pour évoquer la question du recrutement des professeurs et le rôle spécifique que doivent avoir les agrégés dans l’enseignement et la recherche.

Dans l’immédiat, il a décidé de rendre cette lettre publique, dès que vous l’aurez reçue, pour faire connaître sa position sur le recrutement et la formation des professeurs. Elle sera adressée à la presse, aux parlementaires des commissions concernées de l’Assemblée nationale et du Sénat, à toutes les organisations et associations disciplinaires, soucieuses de la qualité de l’enseignement.

Dans l’attente de votre réponse aux questions que nous soulevons et d’une proposition de date pour une prochaine audience, nous vous prions d’agréer, Monsieur le Ministre, l’expression de notre profond respect.