Anglais – 2014

Par Société des agrégés, le 17 octobre 2014

Anglais – 2014

L’agrégation, que j’ai passée en 2014, fut avant tout une épreuve liminaire. Je venais d’obtenir une mise en disponibilité pour partir enseigner en école européenne en Estonie, lorsque j’ai dû envisager d’autres projets pour mon avenir immédiat en raison de longueurs administratives qui m’ont finalement coûté ce poste. Au seuil de ce qui s’annonçait comme une nouvelle aventure, je me retrouvai désormais face à une porte close et décidai de me plonger dans la préparation du concours. J’ignorais à l’époque que ce marathon de plusieurs mois se conclurait par une mise en abîme de mon propre statut liminal – belle ironie du sort ! – lorsque, pendant l’ultime épreuve à Paris, je me retrouverais confrontée à une étude de dossier portant sur la thématique du voyage et de la traversée… Mais tâchons de ne pas trop nous éloigner de la trame initiale de ce récit et, comme Lawrence Sterne, de retracer les différentes étapes de notre voyage sentimental.

Une fois passés les premiers moments d’hésitations et de craintes liés aux contraintes pratiques dans lesquelles je me retrouvais – recherche de logement, mise en place de quelques heures de tutorat et missions de traduction ponctuelles pour subvenir à mes besoins – me voilà lancée dans la préparation du concours. Après un rapide tour d’horizon des modalités d’examen et bien des occurrences de sourcils froncés devant la confirmation que les œuvres au programme ne sont pas autorisées lors des épreuves écrites et qu’il faut par conséquent mémoriser passages et citations à la virgule près, j’ai chaussé mes bottes de sept lieues et ai entamé mon chemin.

Parcours semé d’embûches, j’ai préféré suivre ma voie plutôt que de rester dans les sentiers balisés. En chemin, de nombreux pèlerins me sont venus en aide en pays poitevin, où j’ai d’ailleurs fait plus ample connaissance avec le Franklin qui se dirigeait vers Canterbury… Mais une rencontre vraiment décisive eut lieu sur un autre continent, en Afrique, sur les terres de Ben Okri, où la même question revenait sans cesse, me faisant hésiter entre « la captivité de la liberté » et « la liberté des contraintes ».  Ainsi, j’ai décidé de ne pas reprendre la route pour chercher meilleure fortune ailleurs : j’ai choisi de rester dans la Vienne où j’effectuerai la première partie de mon marathon…

Le mois de mars est arrivé et avec lui une terrible rage de dents la veille des épreuves écrites. Bien que certifiée, je n’avais jamais fait l’expérience de telles douleurs la veille d’un concours et dus composer dans des conditions tout à fait… rageantes ! Mais à présent que je me tiens sur un autre seuil et Outre-Manche, je repense à ces moments intenses avec attendrissement, car ce que j’en retiens, au-delà de la douleur et de la fatigue, c’est la présence d’un compagnon qui a toujours été là même dans l’absence et m’a permis d’obtenir une ordonnance faxée à la pharmacie la plus proche. Il faut préciser ici que si vous n’avez pas de dentiste attitré à Poitiers, il faut attendre le dimanche matin pour être considéré comme un cas urgent et bénéficier de soins… Sinon, vous devez faire contre mauvaise fortune, bon cœur, agrégation ou pas agrégation.

Après ces premiers vingt kilomètres, mon rythme a ralenti considérablement pendant une dizaine de jours puis est progressivement revenu à sa cadence initiale, en particulier lorsque les résultats d’admissibilité sont tombés. Puis rapidement, place à la dernière ligne droite pendant laquelle j’ai bénéficié d’une offre de formation suivie, régulière et somme toute intense… Ligne d’arrivée enfin en vue : fin juin, convocation aux épreuves orales.

Mon voyage s’est poursuivi, non pas en « vis-à-vis » ou en « désobligeant » comme c’était le cas, j’allais le découvrir, pour le héros « sentimental » de Sterne, mais en train, direction Paris. Je me souviens clairement avoir dû prêter serment lors de ma première épreuve (« I testify », dans Trilogy de H.D.), puis avoir dû courir à vive allure le temps de préparer mon commentaire sur un extrait du roman d’Edith Wharton, The House of Mirth – mais toujours dans la joie et la bonne humeur, n’est-ce pas ? – avant de tomber sur l’inévitable question écossaise en compréhension-restitution, pour finalement me retrouver nez-à-nez, en vis-à-vis, avec un dossier d’EHP portant sur le voyage, l’Autre, le voisin et finalement, effet miroir oblige, soi.

Longtemps je me suis interrogée sur ce dossier. Longtemps, j’ai lu, relu puis décortiqué ces documents… La gravure de Hogarth restait mystérieuse : s’agissait-il d’Anglais ou de Français sur cet embarcadère ? En fin de compte, la réponse ne résidait pas dans ce choix cornélien, mais plutôt dans le sentiment que j’avais en observant cette reproduction. Je me retrouvais de nouveau sur un seuil, venais de franchir la Manche et allais poser le pied en nouveau territoire, comme tout observateur de cette gravure. Une première porte, puis une seconde pour accéder à Calais… mais finalement, toujours cette quête de soi.

Le jour des résultats est arrivé et ce que je souhaitais par-dessus tout, c’était, l’espace d’un bref instant, pouvoir non pas choisir une rive ou une autre – car j’avais entrepris d’autres projets pendant ce marathon agrégatif  dans l’optique de poursuivre mon chemin vers de nouveaux horizons –  mais rester là, sur un pont, et pouvoir partager le fait d’avoir tenu la distance, tout simplement, plutôt que de faire l’objet d’un classement. Quelle fut ma joie lorsque je découvris que finalement, mon expérience liminale avait été gratifiante, puisque j’étais parvenue à passer d’un seuil à un autre !… Et qui plus est à trouver MA voie(x) précisément lors de cette ultime étape mêlant Hogarth, Sterne et Burke…

Désormais installée Outre-Manche où je travaille sur une thèse portant notamment, mais inévitablement, sur des phénomènes de liminalité, je porte un regard attendri sur mon expérience d’agrégative d’abord, puis d’agrégée ensuite… enfin, sans doute devrais-je dire de « candidate admise à l’agrégation », puisqu’il semblerait qu’administrativement tout du moins je ne sois encore et toujours en phase de transition !

Laëtitia Saint-Loubert