Vœu : Pour une utilisation rationnelle des compétences des professeurs agrégés
Par Société des agrégés, le 13 décembre 2025
Préambule
Malgré l’instabilité politique de ces trois dernières années (7 ministres de l’Éducation nationale depuis 2022), le service public de l’éducation nationale a continué de fonctionner, fût-ce sans ministre, grâce au professionnalisme des personnels d’enseignement et d’éducation, des personnels administratifs et techniques, en dépit des conditions de travail de plus en plus difficiles et, plus généralement, de l’absence de reconnaissance financière, morale et sociale de leur métier. Ces personnels sur le terrain, éclairés par leur expérience, savent ce qu’il convient de faire pour rétablir la qualité de l’enseignement.
Les ministres successifs ont tous repris, à quelques nuances près, la même politique, qui a pourtant montré ses défauts, et semblent découvrir la crise de l’enseignement dont ils sont, pour une grande part, responsables. Outre l’insuffisance notoire de leurs rémunérations, la dégradation constante de leur environnement matériel et de leur sécurité, la multiplication des tâches annexes, la diminution du niveau scolaire découlant des réformes antérieures, la réduction des horaires disciplinaires, la passivité des autorités face au discrédit du savoir, l’hypocrisie d’une réforme de la formation initiale et du recrutement qui prétend «mieux former pour mieux faire réussir nos élèves » en réduisant les exigences disciplinaires demandées aux candidats au CAPES, l’une des causes principales du malaise des professeurs et de la crise de leur métier consiste dans l’oubli de la fin première de l’enseignement : l’instruction des élèves.
Les professeurs sont avant tout des passeurs de savoir et de culture. À cet égard, la Société des agrégés déplore l’incapacité du ministère à utiliser pleinement les compétences des agrégés. C’est pourquoi le Comité, réuni le 13 décembre 2025, a décidé de rappeler aux autorités, aux parlementaires et à l’opinion publique, les mesures qui doivent être prises pour une meilleure affectation des professeurs agrégés et une utilisation rationnelle de leur qualification et de leurs compétences.
La situation actuelle
Selon les chiffres les plus récents1, sur un total de 53 351 (agrégés et chaires supérieures confondus), 12 230 enseignent en collège, 468 en lycée professionnel, 28 235 en lycée général ou technologique et 12 418 dans d’autres formations (dont les STS et CPGE),soit 22,92% en collège.
Alors que le décret relatif au statut particulier des professeurs agrégés précise que cette affectation en collège doit rester exceptionnelle, près du quart des agrégés exercent en collège.
Si l’on peut comprendre que, pour des raisons de proximité familiale ou dans des disciplines moins enseignées en lycée, des agrégés soient nommés en collège, le nombre important de ceux qui y sont affectés illustre l’incapacité du ministère à respecter les règles statutaires qu’il a lui-même fixées.
La Société des agrégés demande instamment que, dans le cadre actuel du mouvement à gestion déconcentrée, une politique incitative soit menée pour un respect de la qualification et une meilleure utilisation des compétences des agrégés.
Augmenter la bonification « agrégé-lycée »
La Société des agrégés avait obtenu du ministère, dans le cadre du mouvement à gestion déconcentrée, que les agrégés bénéficient, lors de la phase intra-académique, d’une bonification spécifique pour leurs vœux portant sur des lycées. Il apparaît cependant, en raison de l’autonomie de chaque rectorat, que cette bonification est, selon les académies, d’un niveau très variable, attribuée selon des modalités diverses, et qu’elle se révèle, dans la plupart des cas, insuffisante. De plus, les autres éléments du barème, eux-mêmes soumis à des variations, peuvent réduire l’effet de la bonification « agrégé-lycée », voire la rendre inopérante.
Le Comité de la Société des agrégés demande vigoureusement, pour permettre aux professeurs agrégés d’être rapidement affectés en lycée, que cette bonification soit revalorisée et qu’il soit possible d’en bénéficier avec d’autres bonifications, notamment familiales. Les agrégés qui sollicitent une affectation en collège devraient être amenés à argumenter spécifiquement cette demande.
Affectation des agrégés TZR et fonctionnaires stagiaires
Les professeurs agrégés, lorsqu’ils sont titulaires sur zone de remplacement (TZR), doivent être prioritairement affectés en lycée pour des postes à l’année ou des remplacements de courte et de moyenne durée.
De même, les lauréats des agrégations externes qui effectuent leur stage en académie devraient le faire en lycée où, pour la majorité d’entre eux, ils sont statutairement destinés à enseigner.
Autres voies à étudier
Le ministère doit étudier toutes les possibilités d’affecter prioritairement les agrégés dans les classes de lycée et les classes post-baccalauréat. Si l’inspection générale intervient déjà dans les nominations en CPGE et certains BTS, il serait concevable, pour favoriser leur affectation là où ils sont le plus utiles, en lycée, de créer des chaires spécifiques pour les enseignements de spécialité dans le cycle terminal. L’inspection pédagogique, notamment l’inspection générale pour les agrégés, doit retrouver les moyens d’assurer pleinement son rôle de conseil dans le déroulement de la carrière, y compris pour ceux qui exercent en collège.
Il faut aussi faciliter la création de postes partagés entre le secondaire et le supérieur pour répondre aux besoins des universités, notamment pour la formation des futurs professeurs. Il faut enfin maintenir les CPGE de proximité, encourager la création de CPGE nouvelles.
Vers une affectation des agrégés de Bac – 3 à Bac + 3 et au-delà
La réforme en cours du CAPES, qui réduira considérablement les acquis disciplinaires des futurs certifiés, justifie d’autant plus que les classes de lycée, notamment dans le cycle terminal, soient en priorité attribuées aux agrégés et devrait conduire le ministère à réaffirmer leur vocation à assurer la transition entre les enseignements secondaire et supérieur auxquels leur formation et le niveau de leur concours les destinent.
À terme, il conviendrait que tous les nouveaux agrégés enseignent de Bac – 3 à Bac + 3 et au-delà, – c’est-à-dire en lycée, dans les classes post-baccalauréat (CPGE, ATS, STS) et dans les établissements d’enseignement supérieur – le choix étant donné aux agrégés issus du concours interne de conserver leur affectation antérieure ou d’entrer dans le cycle bac – 3 / bac + 3.
Les agrégés ont vocation à prendre une part importante dans la formation initiale des professeurs. On peut concevoir aussi que les agrégés volontaires soient chargés, avec des allégements de service, de la formation continue de leurs collègues, notamment en cas de changements de programme.
Faciliter la mobilité entre le secondaire et le supérieur
Il faut encourager les agrégés exerçant dans le secondaire à pratiquer des activités de recherche (doctorat, publications, participation à des colloques), les faciliter par des aménagements de service et les reconnaître dans leur carrière, car ils apportent une contribution essentielle au progrès du savoir.
Les demandes de détachement sur des postes d’ATER ou de mise en disponibilité pour des contrats doctoraux et post-doctoraux doivent pouvoir être systématiquement accordées. Dans cet objectif, il est souhaitable que les universités avancent le plus tôt possible leur calendrier de recrutement pour ces contrats. Il est également souhaitable que le ministère anticipe ces demandes dans les académies les plus concernées en leur attribuant un contingent supplémentaire de professeurs pour compenser les départs prévisibles.
Enfin, même si ce n’est pas un critère officiel pour devenir enseignant-chercheur, la Société des agrégés estime que les universités ont tout intérêt à recruter des candidats titulaires de ce concours, qui associeront ainsi les qualités du généraliste et du spécialiste.
Pour un retour à un mouvement national en une seule phase
Le mouvement national à gestion déconcentrée, mis en place à la rentrée 1999, est loin d’avoir amélioré les possibilités de mobilité pour les professeurs. Avec l’instauration de deux mouvements (interacadémique puis intra-académique, le premier organisé par le ministère, le second par chaque rectorat), un professeur qui obtient une académie n’a aucune certitude sur le lieu ni même le type d’établissement où il sera finalement affecté. Ce système provoque souvent, outre des renoncements à demander une mutation, des déceptions et des insatisfactions.
La Société des agrégés demande que soit étudié un retour à un mouvement national unique, qui permette à un professeur de formuler des vœux sur une académie, des départements, des communes, des établissements précis et de rester dans son poste si aucun de ses vœux ne peut être satisfait. Après ce mouvement national, les recteurs pourraient procéder à des ajustements sous forme de délégations rectorales attribuées à l’année. Un système de mutation ainsi organisé permettrait de satisfaire au mieux les personnels.
Le rejet d’un recrutement et d’un système d’affectation régional ou local
La Société des agrégés s’est vivement opposée, en 2024, à la déconcentration de la gestion des agrégés, désormais effectuée au niveau rectoral, qui est une source de distorsions et d’inégalités entre les académies et peut même conduire à terme à une décentralisation totale du système éducatif. Elle s’oppose aussi résolument à l’hypothèse parfois avancée, sous des prétextes divers – simplification des procédures, adaptation aux besoins, plus grande souplesse, autonomie accrue des établissements –, d’un recrutement et d’une affectation des professeurs au niveau régional, voire local. Un tel système produirait inévitablement des inégalités territoriales, fragiliserait le statut des professeurs et conduirait, à terme, à une politique managériale qui apparenterait un établissement scolaire, ayant vocation de service public, à une entreprise à but lucratif, répondant à une logique économique dictée par la loi de l’offre et de la demande.
Conclusion
La Société des agrégés reste profondément attachée à des concours nationaux de haut niveau, qui garantissent les compétences disciplinaires des candidats recrutés et donnent droit à un poste, ainsi que la présence de professeurs qualifiés sur l’ensemble du territoire. Les modalités de gestion doivent être révisées pour faciliter une meilleure adéquation de l’affectation des professeurs agrégés à leur qualification. Rien n’est plus irrationnel et plus démotivant, en matière de ressources humaines, que la sous-utilisation des compétences et le gâchis des talents.
- Repères et références statistiques (chapitre 9), 2025. ↩︎