Qui aidera les personnels de l’Éducation nationale ?

Par Société des agrégés, le 30 septembre 2019

Qui aidera les personnels de l’Éducation nationale ?

Lettre très éclairante que celle de la directrice d’une école maternelle qui s’est donné la mort dans son établissement le 21 septembre dernier. On y lit l’épuisement devant le nombre des missions imposées, les obligations qui s’accumulent et la contraignent à repousser d’abord les limites de sa journée de travail, puis ses propres limites, l’impossibilité de prendre le temps de se soigner alors qu’une toux persistante la mine, que sa solitude est éprouvante…

Cette lettre illustre, dans un contexte dramatique, le quotidien des chefs d’établissement et des professeurs accablés de tâches administratives et de missions qui s’ajoutent à leurs journées sans qu’ils en comprennent l’utilité. Elle montre l’absurdité d’une administration qui fait la révolution tous les jours sans s’attaquer au mode de fonctionnement interne, qui réforme les programmes, les niveaux d’enseignement, les examens, produisant du formulaire et de la circulaire, alors qu’elle ne s’est pas, depuis des décennies, donné les moyens d’accompagner ses personnels face à des situations de plus en plus complexes. Au contraire, par l’accumulation de procédures, elle a encore rendu plus difficile l’exercice des différents métiers de l’Éducation nationale.

C’est une société plus dure, c’est une exigence plus grande vis-à-vis de l’institution, à qui on demande moins d’accompagner les plus jeunes dans leur développement intellectuel que de pallier les insuffisances sociales. Aux chefs d’établissement et aux professeurs de se débrouiller seuls avec la détresse financière des familles, les problèmes psychologiques non réglés, l’école inclusive… Le ministère décrète, l’intendance doit suivre.

Les outils mis à leur disposition ? Combien de difficultés à se connecter pour rentrer les notes et les bulletins, quel sous-équipement informatique des salles des professeurs comme des salles de cours ! Que dire des démarches pour se faire payer la moindre copie d’examen, dont la rémunération ne sera versée, quoi qu’il arrive, qu’un an après ? Et l’on passe sur l’état de délabrement de certains locaux scolaires dont les pires exemples font régulièrement l’actualité. On n’évoque jamais ces désagréments, on n’y remédie pas. Ils ne sont pourtant pas anodins puisqu’ils contribuent de façon certaine à l’énervement puis à l’épuisement des personnels.

Quant à ce qui pourrait compenser les grands efforts demandés, comme par exemple la modernisation de la gestion des professeurs et de leur carrière ? Il faut que les citoyens puissent constater de leurs propres yeux le fonctionnement de la plateforme I-prof. Un design de minitel des années 80, une absence totale de fluidité de navigation, l’impossibilité de faire valoir son parcours et ses expériences professionnelles, si bien que les professeurs sont souvent contraints de doubler leurs candidatures aux différents postes et fonctions par un dossier papier. Ces défauts ont des conséquences sur le bon fonctionnement du système, la progression de carrière mais aussi la formation et le partage de connaissances.

Cette gestion a connu un échec retentissant avec le plan SIRHEN qui a coûté 320 millions en pure perte, sans qu’aucune conclusion n’en soit tirée, sans qu’aucun audit ne soit fait, sans qu’aucune solution ne soit trouvée ni aucun responsable… Il y a quelques années, lorsque la Société des agrégés exposait à ses interlocuteurs certaines améliorations possibles, il lui était répondu que la marge de manœuvre était nulle, tous les crédits étant investis dans ce plan.

Hormis la revalorisation des salaires qui, avec la réforme des retraites, devient cruciale*, les améliorations possibles sont de plusieurs niveaux :

  1. Mise en place de dispositifs améliorant la qualité et le niveau de vie des professeurs (aide pour le logement, crèches, subvention pour acheter le matériel professionnel…) ;
  2. Existence d’interlocuteurs qui aient les moyens de les aider (amélioration de la médecine du travail, efficience plus grande des référents de proximité qui n’ont, pour le moment, aucune main sur les postes à proposer dans le cadre d’une évolution ou d’une reconversion) ;
  3. Amélioration de la formation professionnelle, dont plusieurs rapports de l’IGEN ont souligné l’insuffisance et l’inadaptation aux besoins des professeurs et de l’institution ;
  4. Amélioration des outils mis à la disposition des professeurs dans l’exercice de leurs fonctions : des logiciels plus ergonomiques, adaptés aux particularités de leur métier et une mise en commun de tous ces outils sur des territoires plus vastes pour permettre des économies d’échelle ;
  5. Reconnaissance de l’importance du rôle des enseignants dans le fonctionnement de l’établissement**.

Un certain nombre de dispositifs, nationaux ou académiques, ont été annoncés ou récemment mis en place mais ils sont encore insuffisants pour assurer de bonnes conditions d’exercice et il y a fort à craindre que, comme souvent dans l’Éducation nationale, les annonces ne soient pas suivies d’effets sensibles.

Cet écart entre les annonces et la réalité, entre la communication et le terrain est sans doute difficile à mesurer pour qui n’exerce pas dans l’Éducation nationale. Prenons un exemple : celui de la formation continue. Avant d’avoir amélioré le contenu des formations, avant d’avoir écouté les demandes des professeurs et pris la mesure des inquiétudes des inspecteurs généraux, le ministère agit par la contrainte et la publication de textes réglementaires. Il crée la possibilité de formation des professeurs pendant les vacances. Certes, il prévoit une rémunération mais elle est en réalité extrêmement modique et ne compense absolument pas la perte des vacances qui sont, avec les années et la diminution de leur pouvoir d’achat, le seul bien symbolique – déjà bien rogné au fil des années – restant aux professeurs. Le lecteur jugera, à la lecture de la récente circulaire sur le schéma directeur de la formation continue, texte bavard, comme le ministère sait les produire, s’il y a lieu d’être satisfait…

Depuis cet été, il n’y a plus de directeur général des ressources humaines au ministère***, personne pour incarner, au niveau national, une volonté politique du ministre de se soucier du bien-être des professeurs au travail. Simple problème de calendrier ou volonté politique ? Les professeurs doivent être rassurés. Quand un drame survient, ni les paroles de compassion sur les réseaux sociaux, ni les annonces médiatiques ne suffisent. Il faut que les discours soient suivis d’effets.

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*La Société des agrégés produira bientôt le résultat de ses études sur cette question.

** Un indice de cette absence de reconnaissance ? Les professeurs sont le plus souvent invisibles sur les sites des établissements, qui détaillent la liste des membres de l’équipe pédagogique se résumant à l’équipe administrative.

*** Edit : un nouveau DGRH vient d’être nommé le 2 octobre 2019.

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Sur France culture, Être et savoir du 29 septembre 2019, entretien de Louise Tourret avec Vincent de Gauléjac : texte et son.