Où est passée la grammaire ?

Par Société des agrégés, le 7 janvier 2017

Où est passée la grammaire ?
Depuis quelques semaines, des professeurs et parents s’inquiètent de l’apparition, dans l’enseignement de la grammaire, d’un mot fourre-tout, le «prédicat», destiné à désigner tout ce qui n’est pas le sujet dans une phrase. Ce qui fait beaucoup de choses… Cet exemple est une nouvelle illustration d’une tendance de l’enseignement à mal utiliser un jargon obscur issu des études universitaires pour aboutir à une imprécision nuisible à l’apprentissage.
Que l’Éducation nationale se complaise dans un jargon obscur et prétentieux n’est pas nouveau. Cette posture est même revendiquée par un certain nombre de membres du Conseil supérieur des programmes. Dans Le Parisien de ce jour, Michel Lussault, vante l’usage du terme «prédicat», notion prétendument empruntée à Aristote. Pour les zélateurs de l’innovation pédagogique, c’est un comble de faire référence à l’antiquité. On souhaiterait qu’ils s’y réfèrent pour en admirer et en imiter la précision analytique plutôt que pour faire la publicité d’un concept aussi mal digéré.

Des enseignements faux à force de simplification

Le point commun de tous les enseignements, c’est qu’à force de simplification, on apprend des choses fausses qu’il faudra rectifier par la suite. À chaque étape de la formation des élèves, il faut leur faire oublier ce qu’ils ont appris au fur et à mesure. Ce qui est terrible, car on fait ainsi sentir aux enfants que rien de ce qu’on leur apprend n’a de valeur durable. Faut-il s’étonner qu’ils ne mettent pas longtemps à conclure que cela n’a donc aucun intérêt ?
C’est valable en grammaire mais aussi en mathématique : en primaire, dans certains manuels, on apprend à barrer comme fausse l’opération “3 – 6” ou “8 – 10”. Ce n’est que quelques années plus tard qu’on expliquera qu’on peut poser cette opération et trouver un résultat. Pourquoi évoquer le sujet et introduire des interdictions fausses ? C’est une grande perte de temps alors que la durée des cours de mathématiques et de français se réduit depuis plusieurs années.

Une grammaire floue

Pour la grammaire, on voit par exemple, dans certains manuels de CE1, qu’on commence à apprendre le présent, le futur et le passé en se référant aux adverbes contenus dans la phrase et non à la forme du verbe. Dans les exercices, l’enfant doit dire si c’est du présent, du passé ou du futur en regardant si, dans la phrase, il y a « aujourd’hui », « demain » ou « hier ». Il en résulte une confusion : comment l’enfant peut-il comprendre que dans « demain, je dois me lever tôt », le verbe est au présent ? Ou dans « aujourd’hui, j’irai me promener”, le verbe est au futur ? Comment lui faire comprendre par la suite que les temps n’indiquent pas seulement le temps justement ? Comment lui en faire saisir les nuances ?
Ce type d’enseignement repose sur la volonté de faire observer le mécanisme de la langue, ce qui est louable, mais avec des moyens qui sont ceux des enfants et qui sont donc insuffisants au moment où ils doivent les mobiliser. Il y a une erreur grave de méthode. Il vaudrait mieux apprendre les formes verbales pour réfléchir ensuite dessus.

Apprendre à maîtriser la difficulté du français n’est pas une perte de temps

De manière générale, il faut avoir conscience que le français est une langue difficile même pour ceux dont il est la langue maternelle. La grammaire est complexe, la formation des mots est complexe, l’orthographe est complexe.
Au lieu d’essayer de tout simplifier, ce qui rend, de fait, les choses plus compliquées, on ferait mieux de se dire que le temps consacré à cette étude n’est pas perdu : la maîtrise de la grammaire française, c’est la maîtrise du raisonnement, c’est l’apprentissage de la pensée, c’est l’apprentissage de la logique. Sous l’effet de la réduction du temps consacré à la grammaire, de la suppression des langues anciennes, des choix retenus dans l’enseignement des mathématiques et de la philosophie, la part de l’enseignement de la logique diminue dans l’enseignement. C’est un problème.
Un peu de simplicité et d’humilité ferait beaucoup de bien : un apprentissage systématique des formes permettant par la suite une véritable autonomie à l’enfant qui pourra raisonner, dans un deuxième temps, à partir de bases solides. Tout le travail du professeur, c’est d’arriver à exprimer simplement et sans erreur, des éléments complexes et d’aider l’élève à bâtir un savoir aux fondations solides sur lesquelles il peut s’appuyer sans crainte. La richesse est dans la complexité, on doit amener les élèves à l’apprécier et la dompter.